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C’est une habitude, je commence toujours par un petit point météo. Ne jugeons pas ces sujets de conversation routiniers. Surtout celui-ci. Si j’en parle, c’est que ça m’importe. La météo aujourd’hui a gagné ses galons de sujet d’importance. Voire d’inquiétude.

Alors voilà, quel mois de mars. On n’a pas été déçu. Le vent du sud qui rend fou, quelques coups de tonnerre, et même, ça devient une habitude, les dunes du Sahara soufflées jusque sur les carrosseries de nos monospaces lustrés. Au milieu de tout ce bazar, l’arrière garde de l’hiver, avec une ou deux petites gelée et une neige collante de quelques heures, se la joue météo du temps jadis. On n’y croit pas.

C’est un pur hasard mais : mes lectures du mois ont été à l’avenant. Une maman chatte n’y retrouverait pas ses petits. A boire et à manger. Des romans et des docs. Du bulgare et du russe, des SDF et deux boxeurs. Entre autres. Et même un roman très porté sur la météo (le dernier Dubois) que je n’ai pas aimé. Comme quoi.

 

1 SAMSOM

Délivrez-nous du bien de Joan Samson

Harlowe, paisible bourgade du New Hampshire ne vivait certainement pas dans l’attente du Messie. Ni de personne d’autre, d’ailleurs. Chacun vaquant à ses occupations et tout allait bien. Jusqu’au jour où le charismatique Perly Dunsmore débarque. Avec l’aide de la police locale, il organise des ventes aux enchères pour lesquelles il « incite » de nombreuses familles à donner, qui un meuble, qui une machine agricole, qui le fauteuil de la grand-mère. Ou comment mettre littéralement à poil toute la population. Et ainsi l’assujettir. Si quelques réserves se font entendre, c’est surtout l’obéissance et l’emprise qui gangrènent peu à peu la communauté.

Servitude volontaire. Panurgisme. Les desseins machiavéliques de Perly Dunsmore ne font que révéler notre inquiétante propension à obéir. Et ce roman de Joan Samson montre avec force que la révolte, qui inévitablement arrivera, n’en sera pas moins flippante.

Fable dérangeante. Histoire puissante. Un grand livre.

 

2 DANS LA VILLE

Dans la ville d’Élodie Fiabane.

La narratrice – dont on peut s’hasarder sans trop d’inquiétude à penser qu’il s’agit de l’autrice Élodie Fiabane – nous raconte dans les pages de ce livre les maraudes auxquelles elle participe afin de venir en aide aux sans-abris d’un quartier du XIIIe arrondissement de Paris.

La vraie réussite de ce livre ne réside pas tant dans la description, pourtant passionnante, des conditions de vie ahurissantes des SDF, mais bien dans son analyse sous-jacente – et sans équivoque – de l’ignominie d’un système qui conduit une partie de sa population à vivre dehors. Et c’est en cela qu’il est un roman social.

Lucide et franc, et souvent avec humour, Dans la ville, premier roman d’Élodie Fiabane a pour lui un petit quelque chose d’indispensable. Ce que tous les livres n’ont pas – loin de là. On est bien d’accord.

 

3 COSM3 ODYSEE

Les cosmonautes ne font que passer et Odyssée des filles de l’Est d’Elitza Gueorguieva

Ce roman nous raconte la vie quotidienne d’une jeune fille en Bulgarie, juste avant puis juste après la chute du mur. On pourrait s’inquiéter d’une promesse de lecture un peu morose. Or, c’est tout le contraire.

Le ton faussement candide est un régal et, disons-le, une sacrée bonne idée. La petite Elitza est aussi ahurie devant le théâtre soviétique de son pays que par le débridement ultralibéral qui suivit l’effondrement du bloc de l’Est. Ce regard malicieux est la juste mesure face à la puérilité des systèmes politiques, quels qu’ils soient.

L’écriture à la deuxième personne du singulier affirme un regard attachant de l’adulte qu’est devenue Elitza Gueorguieva sur l’enfant et l’ado qu’elle fût. Anecdotes décapantes, marrantes et parfois terribles.

Et Gagarine, pendant ce temps-là continue de tourner autour de la terre et dans la tête d’Elitza Gueorguieva.

(La lecture des Cosmonautes pourra être prolongée par celle d’Odyssée des filles de l’Est. Ce second opus suit en France la trace de celle qui est désormais étudiante. Où l’on comprend que l’apprentissage et la sidération n’ont pas d’âge. Notre beau pays si accueillant en prendra pour ses galons. Son parcours croisera d’autres filles de l’Est, victimes des réseaux de prostitution. Toujours aussi réussi.)

 

4 LARMES

L'origine des larmes de Jean-Paul Dubois

Si Paul a tué son père, c’est de deux balles dans son… cadavre. Oui le bonhomme était déjà mort. Peut-on alors considérer son acte comme une « tentative » de meurtre ? La justice est perplexe. La violence de l’acte ne laisse pas indifférent et Paul prend du sursis et une obligation de soin psychiatrique. L’origine des larmes contient essentiellement les séances entre Paul et son psy. On apprend que le paternel était une belle ordure, un manipulateur, un type ultra orgueilleux, une arsouille de bas-étage. Ajoutez à cela qu’il n’était pas présent le jour de la naissance de Paul qui vit sa mère et son frère jumeau ne pas survivre. D’où la rancune, tout ça tout ça.

Ça fait toujours un petit quelque chose d’être déçu par un auteur que l’on apprécie. C’est le cas ici. Je n’irai pas voir un psy pour autant. En tout cas pas pour ça. Mais ce dernier roman de Jean-Paul Dubois manque foncièrement de coffre et d’intérêt. Livre poussif et trop « fabriqué » à mon goût. C’est peu de dire que je ne me suis pas attaché à Paul. Et pourtant, comme je les ai aimés, les autres Paul des autres romans de Dubois (ses héros se prénomment tous Paul). Alors peut-être à bientôt, Paul.

 

5 KGB

L'entretien d'embauche au KGB, de Iegor Gran

L'entretien d'embauche au KGB n’est pas à proprement parler un livre de Iegor Gran. Ce dernier a en effet découvert un document pour le moins sidérant : un vadémécum très complet du KGB datant de 1969 traitant du recrutement d’agents étrangers. Des taupes, quoi. Si le style (très bureaucratique, un bonheur) et le contenu amusent et sidèrent un moment, j’avoue m’être un peu lassé avec le temps, guettant les commentaires sardoniques de Iegor Gran, pour le coup toujours très bien vus mais malheureusement trop rares.
On connait l’auteur pour son dada anti russe tenace – à la limite de l’acharnement maniaque. Faut dire qu’entre son histoire personnelle (ses parents étaient dissidents soviétiques : lisez à ce sujet l'excellent Les services compétents) et les démences de Vladimir, il a du grain à moudre. Et c’est quand même souvent très pertinent.

 

6 JOURNALISTE

Le journaliste et l'assassin de Janet Malcolm

Les impeccables éditions du Sous-sol se sont fait un devoir de défricher la littérature du réel avec un certain nez (David Grann, Edith Bruck, Deborah Levy, entre autres). Elles rééditent un classique de l’autrice Janet Malcolm : Le journaliste et l’assassin.

L’auteure tente de dénouer les liens troubles du journaliste Joe McGinniss avec l'ancien militaire Jeffrey MacDonald, accusé du meurtre de sa femme et de ses enfants. Le second découvrira, quatre ans après avoir été finalement condamné à vie, que McGinniss, qu’il avait accueilli et considéré comme un véritable ami durant son enquête, a publié un portrait de sa personne lourdement à charge. S’en suivit alors un second procès pour « tromperie ». Vertigineux.

Ce livre offre alors au lecteur une réflexion en abyme passionnante, où Janet Malcolm éclaire sa propre « attitude » d’enquêtrice à la lumière de l’ahurissante mystification de McGinniss.

Ajoutez à cela la préface d’Emmanuel Carrère, très au fait de ces considérations depuis L’adversaire ou encore Limonov, et vous obtiendrez le petit précis idéal pour l’apprenti « castor junior » de la non-fiction ! Un régal.

 

7 RUSSIE

Russie, mon pays bien aimé d’Elena Kostioutchenko

Enorme coup de foudre pour ce livre d’Elena Kostioutchenko, reporter à Novaïa Gazeta, journal russe indépendant aujourd’hui interdit – journal auquel appartenait, on s’en souvient la célèbre Anna Politkovskaïa, assassinée comme cinq autres de ses collègues.

Un coup de foudre n’est pas un coup de cœur. Il y a une certaine brutalité dans le coup de foudre. On trouve dans ces pages à la fois des récits personnels touchants, d’une lucidité transparente, faussement fragile et même parfois drôle, ainsi que nombreuses de ses enquêtes qu’elle a effectuées à travers ce pays.

Ce livre est comme un casque de réalité virtuelle : que l’on soit auprès de prostituées ou de vagabonds dans les rues Moscou, parmi les peuples autochtones en Sibérie ou, évidemment, aujourd’hui près des combattants en Ukraine, on est plongé en immersion totale dans la diversité de ce qui continue de construire (ou de détruire) la Russie depuis la fin de l’Union Soviétique.
Et qu’on le veuille ou non, pour le meilleur et pour le pire : ce pays reste fascinant et passionnant.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le titre n’est pas ironique : Elena Kostioutchenko aime son pays. Mais elle pense que la meilleure façon de l’aimer, c’est justement de continuer à lutter, de continuer à porter un regard critique sur lui.

Et la rançon de ça, il ne faut pas l’oublier, est qu’elle vit aujourd’hui en exil, qu’elle a déjà subi une tentative d’empoisonnement – la marque de Poutine – et risque au bas mot quinze années de prison si elle devait rentrer.

Si pour vous, l’important n’est ni de faire l’autruche face à la situation, ni de tomber dans les clichés : je pense alors – j’en suis même quasiment certain – que ce livre vous passionnera. Attention cependant au coup de foudre.

 

8 15 MINUTES

Quinze minutes sur le ring de Christophe Granger

Je finis avec un OVNI. 24 septembre 1922, stade Buffalo de Montrouge, Georges Carpentier, champion du monde, remet son titre en jeu face au Sénégalais « Battling Siki ». Le combat dure quinze minutes et, contrairement à ce que le public attendait ce jour-là, le favori Georges Carpentier sera défait.

Christophe Granger se pose alors cette question : que s’est-il passé durant ce combat ? Une fois que j'ai écrit ce qui est mentionné un peu plus haut, qu’ai-je dit de l’action elle-même ? Pas grand-chose. Car la boxe en 1922 n’est pas celle d’aujourd’hui. Ni plus celle de ses débuts. On sait aussi que le favori est un homme blanc et que Siki, annoncé comme Sénégalais et – de fait à cette époque – « tout aussi » français que Carpentier. Et que ce n’est pas anodin non plus. Partant de ça, nous n'avons encore tout dit. Loin s’en faut. Car les deux boxeurs n’ont pas la même façon de boxer. Et que peut-être on aurait demandé au challenger de « se coucher à la quatrième » …

Et ce n’est pas fini. Christophe Granger agit en cinéaste : il zoome. Si la première partie revient sur l’échelle large du contexte, dans un deuxième temps il cadre à hauteur de ring sur ce qui se joue entre les deux combattants, avant de finir au degré très rapproché des sciences cognitives d'où il tentera de démêler ce qui relève du réflexe et de la réflexion.

Incroyable ouvrage dans lequel l’auteur confectionne une histoire de l’action, du moment, presque de l’intime qui, à l’inverse de ce que l’on a usage de lire habituellement, éclaire en retour la « grande » histoire. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, quand Christophe Granger convoque la sociologie, les sciences humaines, la psychologie et même les techniques du « noble art », il ne déréalise absolument pas l’action mais, au contraire, saisit l’occasion pour la décorréler des mythes et des a priori afin de nous la présenter au maximum de son ampleur et de sa portée.

 

A suivre.

Christophe

//// Illustration de couverture extraite du film Sweet east de Sean Price Williams 

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