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Dans la vie du bibliothécaire, Noël c’est une pause. Pas tant que j’arrête de lire, bien au contraire : mais je lis mes bouquins. Ceux que je me suis achetés par-ci par-là depuis l’été, ou que l’on m’a prêté, et qu’une couche de poussière de plus en plus épaisse et poisseuse a fini par recouvrir (Julien Gracq, Robert McLiam Wilson, Marc Graciano, Pascal Quignard, Maupassant… je ne me suis pas ennuyé).

1 GRACQ BALCON1 GRACQ CARNETS2 GRACIANO EMPORTE L OURS2 GRACIANO LIBERTE3 QUIGNARD4 MCLIAM5 MAUPSSANT

Mais, comme les hirondelles au printemps ou un boomerang en Australie, la rentrée finit toujours pas revenir. Alors le vaillant petit bibliothécaire prend plaisir à partir à l’assaut de l’actualité littéraire.

Dans ces lectures d’hiver, il y aura eu des auteurs familiers et des découvertes.

Nous retrouvons dans la première catégorie Jean-Philippe Toussaint ainsi que les dernières parutions de Sylvain Tesson, Joy Sorman, Romain Slocombe, Nicolas Mathieu et Antoine Volodine.

 

6 TOUSSAINT FAIRE LA MOUR7 TOUSSAINT FUIR8 TOUSSAINT VERITE9 TOUSSAINT NUE

Le cycle « Marie Madeleine Marguerite de Montalte » de l’écrivain belge Jean-Philippe Toussaint, regroupe quatre petits romans intrigants, drôles et dingues : (dans l’ordre) Faire l’amour, Fuir, La vérité sur Marie et Nue. Ces titres, parus de 2002 à 2013, entremêlent la passion amoureuse du narrateur et de la fameuse Marie, au gré des périodes et des pays à travers lesquels leur histoire s’est écrite. De manière contre-intuitive, ça commence par leur séparation à Tokyo. Puis le lecteur se protègera comme il pourra d’éléments puissants et destructeurs (typhon, incendie, orage caniculaire, nuée d’abeilles – symboles évidents de la grosse houle des sentiments) pour se faire une place aux premières loges de cet amour magnétique. Du Japon à la Chine, en passant par l’île d’Elbe, Jean-Philippe Toussaint n’a pas son pareil pour nous parler des lois de l’attraction. C’est souvent très drôle, et surtout incroyablement inventif : certains passages (me) sont devenus cultes (le cheval qui vomit dans l’avion, l’épectase de Jean-Christophe de G., le téléphone qui sonne dans le train et tant d’autres…). Quatre romans pour une œuvre qui ne ressemble à rien d’autre.

 

10 TESON

Dans un autre genre : Avec les fées, le dernier Tesson. A mon humble avis, le risque artistique que prend Tesson à sortir un livre par an, surfant sur un succès qui pourra être débattu, est réel. Le voici remontant à voile, à pied et à pédale tout l’Arc atlantique, la façade celtique de l’Europe courant de la Galice à l’Ecosse, en passant par la Bretagne, les Cornouailles et l’Irlande. Si je trouve encore cet écrit souvent bien vu, l’esprit mélancolique de l’auteur se teintant d’un peu de misanthropie voire de tentation de repli y étant souvent à mon goût, j’avoue cependant m’y être un peu ennuyé. L’auteur le reconnait lui-même : écrire et réécrire sur ces formidables littoraux déchiquetées peut contraindre à se répéter quelque peu. Et c’est le cas. Une fois dit tout cela, Sylvain Tesson faisant désormais partie de ces personnalités dont la médiatisation dépassera le seul débat de leur talent, on pourra lui souhaiter (ce qui devrait d’ailleurs lui convenir) de faire une pause salutaire. Loin du petit Landerneau médiatique. Loin de l’ennui. Et plus près des fées. Mais le souhaite-t-il vraiment ? Je n’en sais rien.

 

11 SORMAN TEMOIN

Le témoin est le dernier roman de Joy Sorman. L’auteure d’A la folie et de Seyvoz (écrit à quatre mains avec Maylis de Kerangal) immerge Bart, son narrateur mutique, au sein du Palais de Justice de Paris. Et quand je dis « immerge », ce n’est pas qu’un peu : Bart, non content d’assister à un maximum de séances du tribunal, décide également d’y vivre… nuit et jour. Se rendre compte et rendre compte : telle est la volonté de Bart et, par voie de conséquence, celle de Joy Sorman dont on imagine très bien le travail d’investigation préparatoire à ce roman. Au fil des pages, le constat est d’une violence assez déstabilisante pour le lecteur (principalement lors des comparutions immédiates). Car ce n’est pas tant dans sa réponse à la question « Est-ce que la Justice est juste ? » que la force du Témoin se joue, mais bien sur cette peinture d’un théâtre contemporain de la lutte des classes (ce n’est pas un gros mot). Où la notion même de vengeance (!) transpire souvent de ces pages. Où la Justice semble aller, par son fonctionnement vorace, jusqu’à s’autoalimenter. C’est assez glaçant.

 

12 SLOCOMBE

J’ai découvert Romain Slocombe il y a deux ans avec deux romans se déroulant sous l’Occupation :  L’Affaire Léon Sadorski et Monsieur le commandant. Une sale Française, son dernier ouvrage, confirme la maîtrise de Slocombe de cette époque noire. Même si, pour être plus précis, celui-ci se situe principalement après la Libération, où l’on s’intéressait de près à celles et ceux qui auraient collaboré. La « sale Française » interrogée par la police ici est l’Alsacienne Aline Beaucaire. Exilée loin de sa famille restée sur Paris, elle s’éprend d’un beau pilote qui offre ses services à l’armée allemande. Tout à leur amour naissant, le couple rêve de gagner la Zone libre, puis Alger. Son histoire est-elle bien celle qu’elle raconte lors de son interrogatoire ? Alors que de nombreux rapports semblent l’accabler et la confondre avec la « panthère rouge », collabo notoire, Slocombe brouille les pistes avec maîtrise et nous entraîne dans une vie et une époque où toute lecture manichéenne des évènements s’avèrera stérile.

 

13 CIEL OUVERT

Nicolas Mathieu, l’auteur des très remarqués Leurs enfants après eux (Goncourt 2018) et Connemara, revient par la bande avec Le ciel ouvert. Pourquoi par la bande ? Eh bien c’est vrai que nous proposer un recueil d’extraits de ses publications Instagram, il y avait de quoi surprendre. Voire inquiéter : le monde de l’édition (notamment dans la bande dessinée) étant trop souvent le cul-de-sac légitimant sur papier – la voie « noble » – quelques téraoctets d’extraits de blogs, d’insta ou je ne sais encore quels comptes Tik Tok surchauffant les datacenters de la Silicon Valley. J’ai vite été rassuré, car une fois dépassé mon mauvais esprit, il faut reconnaître que le format post de la toile n’est ni plus ni moins ce qu’on retrouve dans la littérature fragmentaire (appréciée récemment chez Quignard ou encore Cassandra Vignon et Nicolas Nova). C’est l’occasion pour Nicolas Mathieu de travailler sa langue avec précision mais sans lourdeur : toute la première partie sur la relation secrète qu’il a eue avec une femme mariée, et à qui il adresse ces billets, est vraiment réussie et touchante. J’ai néanmoins été un peu plus circonspect sur le dernier tiers du livre, plus convenu à mon avis.  

 

14 VOLODINE

L’annonce est tombée : Vivre dans le feu sera le dernier livre publié sous le nom d’Antoine Volodine.  Alors, comme on sait que le bonhomme est l’auteur sous différents pseudos de toute la galaxie post-exotique, on ne s’inquiète pas trop. Mais quand même, ça fait bizarre. En attendant, ce dernier opus n’a peut-être pas la puissance onirique de certains de ses autres romans (Les filles de Monroe ou encore Terminus radieux). Je n’ai cependant pas boudé mon plaisir devant ce récit fou de Sam qui, sur le point de se faire brûler au napalm, nous raconte sa famille extravagante. Et notamment comment certaines de ses vibrionnantes tatas lui ont appris à vivre dans le feu
Unique. Encore une fois. Volodine, fais pas l’idiot : CONTINUE !

 

Côté découvertes, qu’avons-nous eu au menu ?

 

15 FEMME BROUILLON

Tout d’abord La femme brouillon d’Amandine Dhée. Nous avons eu la chance de connaître ce roman grâce à la venue prochaine de la Compagnie du dernier étage qui lira le texte samedi 6 avril prochain. Ce livre est le récit incisif, à la fois édifiant et drôle, sur la déflagration que provoque sa grossesse chez la narratrice, féministe affirmée. Ce qui singularise La femme brouillon est qu’Amandine Dhée tire sa force pamphlétaire également de l’ambivalence et de ses propres contradictions. Ce n’est pas un paradoxe et c’est bien vu. Petit avant-goût : « Le jour où je refuse d’accompagner père et bébé à un déjeuner dominical pour traîner un pyjama toute la journée, je sens que je tiens quelque chose. »

 

16 APPARTEMENT

Autre livre aussi concis qu’étonnant : L’appartement de Sébastien Brébel. Un frère et sa sœur emménagent dans un grand appartement haussmannien. Ahuris voire abrutis par la taille et le confort qu’offre ce logement dont personne ne semble connaître le gracieux propriétaire, les occupants vont peu à peu vivre dans un éther d’abandon, d’où le monde extérieur ne semblera plus être qu’un souvenir fâcheux. Alors pourquoi quitter cette arche ? Parabole à la fois marrante et angoissante sur la tentation de réclusion qui nous traverse tous l’esprit en ces temps un peu pénibles. Et qui donne furieusement l’envie d’ouvrir les fenêtres et d’aller boire des bières avec les copains.

 

17 ENFANCE

Enfin, et j’en terminerai là : voici Enfance, le premier volet de la réédition de la Trilogie de Copenhague, récit autobiographique de l’auteure danoise Tove Ditlevsen. Années 20, entre un père social-démocrate et taiseux, une mère dont la bigoterie enflamme encore plus le caractère déjà bien débordant, et un grand frère vers lequel tous les espoirs de la famille semblent se tourner, la petite Tove navigue à vue dans le monde étroit de la rue Istedgade. Quelle sera alors la place de ses rêves et de sa poésie ? Un régal d’écriture lucide et sensible. Vivement la suite.

Mars est déjà là, le printemps pointe le bout de son museau. D’ailleurs, les merles sont revenus. En attendant les moustiques tigres et les cigales. Je préfère les merles. Ils chantent mieux et ils piquent moins.
Et d’autres (bonnes) découvertes m’attendent déjà sur ma table de chevet. A suivre.

Christophe

//// Illustration de couverture extraite du film L'empire de Bruno Dumont 

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